L’Ecole des Chartes encourage la bibliothèque de l’AIU

Peter Nahon, élève à la prestigieuse Ecole des Chartes, a consacré un article à la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, auprès de laquelle il a effectué un stage de quatre mois.

L’Alliance israélite universelle, sorte de mission laïque créée au milieu du XIXe siècle pour porter la lumière de la civilisation française auprès des Israélites d’Orient par le mérite d’un réseau d’écoles à l’occidentale, est aujourd’hui dépositaire d’une bibliothèque dont les collections lui assurent une renommée mondiale.

Constituée dans ses premières années comme une fonction annexe d’un réseau scolaire rayonnant du Maroc à l’Irak avec presque deux cents établissements, la bibliothèque, inséparable alors des destinées de l’École Normale Israélite Orientale où étaient formés les instituteurs de l’Alliance, prit un essor certain lorsque l’abandon des intérêts français dans les pays du Levant, au milieu du XXe siècle, causa la fermeture de nombre des écoles du réseau. En effet, la bibliothèque, sise au 45 rue La Bruyère, dans quelques pièces d’un hôtel particulier de la Nouvelle-Athènes, obtint alors une préséance sur les autres activités de l’Alliance Israélite Universelle, et connut un essor qui la porta à devenir ce qu’elle est aujourd’hui : la plus grande bibliothèque d’études juives et hébraïques d’Europe.

S’enrichissant continuellement de fonds patrimoniaux imprimés et manuscrits, dont les plus anciens remontent au Xe siècle, elle s’est aussi constituée en tant que bibliothèque scientifique de premier plan de par sa politique d’acquisition exhaustive de publications académiques dans les domaines concernés. Outre ses propres collections, comprenant 150 000 volumes, 3 000 titres de périodiques dont 300 vivants, 1 000 manuscrits et 15 incunables, elle héberge aussi les quelque 215 manuscrits et incunables du Séminaire Israélite de France. Avec huit employés réguliers, quatre bénévoles et plusieurs stagiaires, la bibliothèque de l’Alliance dessert un lectorat abondant. Principalement fréquentée par des universitaires et chercheurs du monde entier, la salle de lecture l’est aussi de généalogistes et d’historiens amateurs, attirés par les riches archives de l’institution scolaire, dont un archiviste paléographe, M. Georges Weill, eut longtemps la charge.

Afin de dévoiler les politiques exemplaires de mise en valeur appliquées aux collections patrimoniales d’une bibliothèque qui n’a rien à envier aux plus prestigieux établissements publics, nous proposons de suivre la destinée d’un fonds acquis il y a vingt ans, issu de la bibliothèque du collectionneur français Elie-J. Nahmias. Constitué de presque un millier de livres rares  en hébreu et judéo-espagnol pour l’essentiel, son traitement soulevait des difficultés pratiques, au-delà des questions de langue : fallait-il le disperser parmi les collections générales, ou lui conserver son intégrité en tant qu’ensemble, œuvre d’un bibliophile avisé ? Le second choix fut celui retenu, d’où une conservation séparée dans un magasin spécifique, et l’établissement de cotes propres au fond. Lors du catalogage, la création de notices intégrées au catalogue unifié des bibliothèques judaïques de France, eut pour effet de le rendre accessible aux chercheurs du monde entier. Cependant, ce fonds méritant davantage d’égards, on entreprit dès lors sa numérisation prioritaire. Pour valoriser cette masse documentaire digitale qui en découla, il fut question, pour atteindre le grand public, de lancer une exposition virtuelle, qui serait présentée sur écran dans les locaux de l’AIU au 6 bis, rue Michel Ange (75016), ainsi qu’en ligne sur le site de la bibliothèque. Pour ce faire, on sélectionna une cinquantaine de pièces parmi les plus remarquables du fonds. Cette sélection fit l’objet de descriptions scientifiques, tenant compte de tous les aspects des documents, depuis les reliures jusqu’au contenu linguistique et philologique, soulignant pour chacun d’eux son intérêt et son contexte, dans un sens se voulant aisé et plaisant sans sombrer dans la vulgarisation excessive. Mené par l’auteur de ces lignes lors d’un stage voulu par l’École des chartes, ce travail est désormais accessible sur le site de la bibliothèque numérique de l’AIU.

Bible espagnole 1726

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La salle de lecture de l'AIU

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Manuscrit vénitien de 1693

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Outre cette exposition virtuelle, il a été envisagé de produire un catalogue raisonné du fonds Nahmias, que l’AIU, qui s’est déjà signalée par ses publications scientifiques, publierait dans les prochaines années.

 

De fait, l’institution et sa bibliothèque hébergent nombre d’activités académiques de tous ordres : la revue Archives Juives, fondée en 1965 et éditée aux Belles-Lettres, de nombreux colloques au rayonnement international… C’est également dans les locaux de l’AIU que se tiennent les séances de la Société des Études Juives, première des sociétés savantes israélites par son âge et son rayonnement. Enfin, la bibliothèque est souvent sollicitée pour prêter des documents pour des expositions, comme c’est à présent le cas depuis mai dernier : le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, en vue de son exposition Trésors du ghetto de Venise, a emprunté à l’AIU plusieurs dizaines de volumes issus des premières presses hébraïques vénitiennes.

Après plus d’un siècle et demi d’existence, la vitalité de cette bibliothèque privée étonne et ravit. Elle tient peut-être à sa remarquable capacité à s’adapter, d’une époque à l’autre, aux exigences de son temps, cherchant toujours à gérer au mieux des fonds uniques et traités comme tels, tout en servant au mieux les lecteurs.

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