"L’Alliance Israélite Universelle : quand Tunis devient le berceau d’une révolution éducative

Lundi 10 novembre, la Mairie du 9 arrondissement de Paris a célébré l’Alliance Israélite Universelle (AIU) lors d’une conférence vibrante animée par Claude Nataf, historien et président de l’Association des Juifs de Tunisie, organisateur de l'évènement. Avec sa verve d’orateur et sa passion d’érudit, il a retracé devant une assemblée savante la fabuleuse épopée de la première école de l’Alliance ouverte à Tunis en 1878, véritable tournant dans l’histoire du judaïsme tunisien.

AIUPHOT_475%20legende.jpgFondée à Paris en 1860, l’AIU portait une ambition claire : émanciper les Juifs d’Orient et d’Afrique du Nord par l’instruction. Ses créateurs voulaient éveiller la conscience politique et civique de leurs coreligionnaires, leur transmettre les idéaux de la Révolution française — liberté, égalité, fraternité — et contrer les conversions au christianisme qui guettaient les enfants contraints de fréquenter des écoles catholiques ou protestantes.

Pour ouvrir une école en terre tunisienne, il fallut d’abord obtenir le feu vert du consul de France et des autorités locales, mais aussi surmonter la méfiance des rabbins, peu enclins à l’idée d’un enseignement moderne pour les enfants juifs. Restait encore à trouver des fonds et un local. Grâce à la détermination de David Cazès, délégué de l’Alliance en Tunisie, et au soutien du Grand Rabbin Borgel, de la famille Rothschild et de Lucien de Hirsch, le rêve finit par devenir réalité.

L’ouverture de la première école de l’Alliance Israélite Universelle en Tunisie (1878) et la révolution scolaire du judaïsme tunisien

Dès son ouverture, l’école se distingue par une approche avant-gardiste : une visite médicale obligatoire révèle que 22 % des 1 025 enfants souffrent de teigne, de trachome ou de tuberculose. On soigne, on nourrit, on éduque. Les élèves apprennent le français, l’italien et l’arabe, reçoivent des cours d’instruction religieuse et même des leçons de gymnastique — une nouveauté absolue à l’époque. Les enfants, souvent dénutris, reçoivent un à deux repas par jour et troquent leurs haillons contre des vêtements occidentaux.

Ecole%20AIU%20Tunis.jpgEn 1882, une école de filles voit le jour, soutenue cette fois par le rabbinat. Les jeunes filles qui la fréquentent peuvent espérer sortir de la misère et devenir secrétaires ou vendeuses. Quant aux garçons, anciens élèves de l’Alliance, ils accèdent à des emplois dans les banques, les administrations, ou le commerce : une ascension sociale sans précédent.

Très vite, une génération nouvelle émerge. Les familles issues des écoles de l’AIU parlent désormais le français comme langue maternelle, substitué à l’arabe. Ces hommes et ces femmes, nourris des valeurs de la République, deviendront les artisans d’une modernité éclairée.

Ouvertes à tous, gratuites et non élitistes, les écoles de l’Alliance furent bien plus qu’un projet éducatif : elles furent une porte vers la dignité et le progrès, permettant à toute une population de s’adapter à un monde en mutation, sans jamais renier ses racines.

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